CURRENT CREATION
C’est l’histoire qui a lieu dans un corps et qui n’aura pas lieu. C’est l’histoire de tout ce qui pourrait. Tu peux comprendre ça, qu’ici il y a un tas de cellules et ça peut ? Je suis pleine de ça peut, remplie de ça pourrait, remplie surtout de vide mais déjà quelque chose et très bientôt plus rien.
Cytotec
d'Anooradha Rughoonundun
par la Compagnie Djalma Primordial Science
Mise en scène et danse : Ephia Gburek
Jeu sur scène et chant : Anooradha Rughoonundun
Musique électroacoustique en direct : Gwennaëlle Roulleau
Accordéon et compositions sonores : Vincent Valente
Création et régie lumière : Olivier Richard
Costumes : Liliam Dooley
Scénographie : Raphaël Thibault
Coproduction / Théâtre Le Verso (Saint-Étienne)
Aide à l’expérimentation : RAMDAM, UN CENTRE D 'ART
Première étape de création du 19 au 23 février 2025 au Théâtre Le Verso à Saint-Étienne.
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SYNOPSIS //
Mis en voix par son autrice, Anooradha Rughoonundun, Cytotec raconte deux histoires parallèles et vertigineuses : celle de Youri Gagarine, premier homme à quitter le champ gravitationnel de la terre en 1961, et celle de Natasha, sa compagne. La survivance presque hasardeuse du cosmonaute et la réussite inouïe de sa mission transforment Gagarine en héros mondial, ambassadeur de son pays en pleine guerre froide. Le texte dévoile en parallèle la situation fictive de sa femme Natasha. A l'instant où le corps de Youri subit les dangers du premier vol spatial -- les secousses ultra-violentes du décollage, le temps suspendu à flotter dans le noir-- Natasha, enceinte, choisit d'interrompre sa grossesse. Elle subit les séismes du médicament abortif « cytotec ». Son acte clandestin sera autrement voilé de secret, chargé de risque et de solitude. Ainsi, une société hautement technologique arrive à défier les lois même de la gravité, mais n'a jamais développé un rituel, une cérémonie, "un parachute de sécurité" pour la femme qui choisit d'interrompre sa grossesse.
NOTE D'INTENTION DE LA MISE EN SCÈNE //
Le texte et nos intentions de mise en scène invitent au vertige. Quelque chose à l’échelle du microcosme bascule à l’intérieur du corps de Natasha, pendant que Youri se trouve « à des années lumière ». Nous entrevoyons une faille entre le projet du patriarcat d’étendre le domaine de son influence et de sa maîtrise jusqu'à l'espace intersidéral, et l'absence d'attention (ou la négligence délibérée) pour un acte de soin fondamental concernant le corps de la femme. Nous cherchons à glisser dans cette fissure pour évoquer l'intime. Notre recherche artistique ne se définit pas comme une revendication du droit à l'avortement, encore fragile et loin d'être sanctuarisé partout dans le monde, mais plutôt comme une exploration intime et interne de l’expérience (multiple) de l'avortement via la figure de Natasha. Nous souhaitons créer un espace de résonance pour ce qui est si souvent traversé en silence.
Notre domaine de recherche opère dans la transdisciplinarité, axé essentiellement sur le corps et le son. Le verbe sera traité comme matière sonore à déformer -- trituré par accélération, dilaté par ralentissement, brouillé par interférences, interrompu par l'envolée du chant, distancé du corps parfois via la diffusion. L'autrice/comédienne sera mise en mouvement, et la danseuse/chorégraphe parfois amenée à faire instrument de sa voix. La musicienne opérera du plateau, créant la musique en direct. Encouragés par nos partenaires, nous développerons en parallèle un atelier pour accompagner le public (de lycéens, ou autre) dans sa réception et sa réflexion autour de la pièce et du thème de l'avortement.
Écrite en 2015 à l’île Maurice, Cytotec est la première pièce d’Anooradha Rughoonundun. Elle remporte le Prix d’écriture dramatique de la délégation de l’Union Européenne à l’île Maurice en 2015 et figure parmi la sélection 2017 du Comité de lecture de Poche/Genève. Son autrice en donne une lecture publique en 2015 à l’île Maurice au Festival Passe-portes et des extraits dans l’émission « La danse des mots » d’Yvan Amar en 2016 sur RFI.
NOTE DE L'AUTRICE //
Étrange, d’écrire une note d’intention huit ans après l’écriture. Si je ferme les yeux, je me revois à l’île Maurice composant ma première pièce, questionnée par la clandestinité des avortements dans mon deuxième pays et le corps encore agité d’une IVG effectuée dans le cadre légal belge. L’envie d’une histoire d’avortement clandestin qui ne se limite pas à la dénonciation du danger et de la honte, mais tout en les embrassant plonge à l’intérieur de l’expérience d’un corps. Et partant de là, de questionner la possibilité de dire et de se faire comprendre auprès d’autrui sur ce qui se passe en soi. De questionner la place et les limites d’un homme dans son avortement, d’où la mise en jeu du principe d’empathie avec ce personnage de Youri tentant de se mettre à la place de Natasha, se servant de son expérience propre -celle de cosmonaute- pour essayer de la comprendre. Je me souviens de cette envie d’une histoire qui se passe à la fois dans un corps, dans une société et dans l’univers, de mettre ces trois niveaux d’existence tantôt en friction, tantôt en résonance. Je me souviens aussi de l’envie de parler d’avortement comme acte de vie et de questionner l’impossibilité de le célébrer dans nos sociétés, qu’elles l’interdisent ou le légalisent. Je cherchais à raconter une histoire à la fois physique, politique et existentielle.
Anooradha Rughoonundun est également formée comme conseillère conjugale et familiale au Planning familial de Grenoble et a exercé au Centre de Planification et d’Education Familiale de l’hôpital de La Mure : entretiens d’écoute et/ou d’information autour de la vie sexuelle et affective, éducation à la sexualité en milieu scolaire. Dans ce cadre, elle a accompagné des femmes et des couples dans leurs IVG.
photo : Seghir ZOUAOUI